De l'Art des couleurs…

« Sensim per partes discuntur quælibet artes

Artis pictorum prior est factura colorum

Post, ad mixturas convertat mens tua curas

Tunc opus exerce, sed ad unguem cuncta cœrce

Ut sit ad ornatum quod pinxeris, et quasi natum

Postea multorum documentis ingeniorum

Ars opus augebit… »


“C’est peu à peu, partie par partie, que s’apprennent tous les arts.

L’art des peintres est précédé par la confection des couleurs.

Ensuite, que votre esprit tourne ses soins vers les mélanges.

Alors, passez à l’œuvre, mais soumettez tout à la rigueur,

Pour que ce que vous peindrez soit orné, et comme naturel.

Ensuite, par bien des preuves d’ingéniosité,

L’art augmentera l’œuvre… ”


Considéré comme étant la préface des livres de Théophile.



« Peu de couleurs sont nécessaires à un peintre pour peindre à l’huile, et le meslange de ces peu faict et compose toutes les autres »


Turquet de Mayerne “ Pictoria Sculptoria & quæ subalternarum artium”

Les sources :


Les arts décoratifs des civilisations anciennes sont merveilleusement colorés et témoignent tant de l'habileté que de la détermination d'intemporels artistes à domestiquer la nature et les pigments auxquels elle donne vie.

Depuis l'aube des temps. La quête des couleurs semble avoir été une recherche permanente.

Quel peintre n'a pas voulu reproduire la fraîcheur des teintes que la nature soumettait à sa sensibilité ?

Quel enlumineur n'a pas désiré faire vivre toute la palette des couleurs dans l’art qu’il pratique ?


De nos jours, la facilité à disposer de nuances infinies, l'aisance qu'on a à effectuer les mélanges occultent tout le travail de la préparation des couleurs.

On oublie l'extraordinaire recherche entreprise par nos ancêtres afin de nous laisser un héritage coloré, sensible et sans égal.


« Artistes savants » ou « alchimistes peintres », les enlumineurs vont perpétuer, approfondir et enrichir le savoir ancestral.


Ils en laissèrent des traces sous forme de cahiers de recettes, acquis pratiques, enrichis, au cours des âges, des progrès (où des erreurs) que véhiculaient les transmissions gréco-romaine et arabe. Ceux-ci ne sont jamais très détaillés.


En effet, les enlumineurs sont avant tout des artistes maîtrisant le travail du coloriste et celui si délicat de la fabrication des pigments, détrempes, assiettes, vernis, encres… Ce ne sont pas théoriciens pratiquant de rigoureuses classifications.

D'ailleurs, ils s'attachent plus à la finalité de leur tâche - l'œuvre - qu'à la méthode par laquelle ils y sont parvenus.

Pourtant, ils parviennent à dompter une nature avare en pigments stables et à élaborer des protocoles techniques de préparation des couleurs.


Ici, art et science convergent et se rejoignent dans une nécessaire complémentarité.



À partir du IXᵉ siècle, se développent des écoles d'enluminure qui vont laisser des documents destinés à enseigner leur art aux apprentis. On y retrouve des conseils théoriques et pratiques transmettant la technique de l'enluminure, mais également les ingrédients et les préparations nécessaires à l'élaboration des peintures.


Parmi les plus célèbres codices d'apprenti-coloriste. On peut citer Le Manuscrit de Lucques (Xᵉ siècle), La Mappæ Clavicula (XIᵉ-XIIᵉ siècle) La compilation de Jean le Bègue (XVᵉ siècle).

Il convient aussi d'ajouter les manuscrits traitant de techniques artistiques ou artisanales dont certaines parties sont consacrées à la peinture : Traité d'Eracclius (XIᵉ siècle), Manuscrit du Moine Théophile (XIᵉ ou XIIᵉ siècle), ainsi que bon nombre de textes datant du XIVᵉ et du XVᵉ siècle, Textes d'Alcherius, Manuscrit de Saint Audemar, De Arte Illuminandi, Traité de Cennini, Manuscrit de Bologne


Ces nombreux témoignages de la technologie des couleurs sont à la base de nos recherches.


Héritage littéraire médiéval complété par l'étude des textes anciens (Pline : 23.79 av. JC, Dioscoride, Vituve...Papyrus de Leyde IIIᵉ siècle, Papyrus de Stockholm ...) et par le travail de recherches comparatives effectué sur des enluminures originales.


Ce travail synthétique illustre parfaitement la connaissance médiévale en matière de couleur. Toutes les informations concernant l'origine des pigments y sont mentionnées ; À savoir : les couleurs, qu'elles soient issues de la nature ou obtenues par fabrication, proviennent des trois grands règnes : animal, végétal et minéral.


La présentation ci-après, fruit d'un travail de recherche effectué à partir des manuscrits anciens, présente une classification des pigments par couleur et par origine: pigments répertoriés depuis le IVᵉ siècle jusqu'au XVIᵉ siècle.


Les couleurs décrites dans les traités ne sont pas le résultat de calcul de fréquence luminescente, mais le produit d'expériences humaines sur des matériaux de qualité variable.

Il est dès lors pratiquement impossible d'avoir un étalonnage parfait pour les définir. C'est une des raisons pour laquelle les pigments ont été classés par groupes de couleurs et non par nuances exactes.
De plus, l'ordonnancement respecte le schéma trichromique. Blanc, rouge, noir, encore présent au haut Moyen Âge.


« Les physiciens enseignent qu'il y a trois couleurs principales, qui sont le noir, le blanc et le rouge.

Toutes les autres couleurs participent de ces trois, comme on peut le voir dans les livres.
Mais, s'il s’agit des matières dont usent pour leur profession les ouvriers d'enluminures, ces couleurs sont au nombre de huit, qui sont le noir, le blanc, le rouge, le jaune, le bleu, le violet, le rose et le vert.

Entre les couleurs, les unes sont naturelles, les autres sont obtenues par la fabrication. »



« Le bleu d'outremer et le bleu d'AlIemagne sont naturels ; ainsi que le noir, qui est une certaine terre ou pierre noire.

Pareillement, le rouge est une certaine terre rouge, qu'on appelle autrement “macra” en langue vulgaire ; et le vert est une terre jaune ou azur vert. Le jaune est une terre jaune ou Orpin ou autrement de l'or fin ou du safran.

Toutes les autres couleurs sont fabriquées :

C'est à savoir le noir, fait de sarment de vigne ou de quelque autre bois brûlé, de fumée de chandelles, de cire ou d'huile, ou du suc de la sèche, recueilli en bassins ou en écuelles de verre.

Le rouge est de même. Si ce n'est le cinabre, qui se fait de soufre et de vif-argent, le minium, autrement dit, Stipium tiré du plomb.

Le blanc se fait au moyen du plomb et se nomme céruse, ou se tire d'os d'animaux brûlés.

Le jaune qu'on fabrique se fait au moyen de la racine du curcuma, de l'herbe à foulon mêlée avec la céruse, ou autrement par sublimation, auquel cas, on le nomme pourpre, naples et or mussif, encore bien sûr, au moyen du nitre. Ce qui donne le masticot jaune. Le bleu artificiel se tire du tournesol dont se fait aussi le violet.

Le vert artificiel se fait soit du cuivre, de la prunelle dite vulgairement Prungnamerolo qui se ramasse au temps des vendanges le long des haies, ou de la fleur d'iris… »

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